Action à l'occasion de la Journée des droits de l'homme 2022

Illusion d'un État modèle

Le Rwanda entre boom économique et mépris de l’être humain
Ubumuntu Arts Festival auf Flickr_OeffentlicheDomaene
Ubumuntu Arts Festival. Flickr, public domain
10
Déc
2023
Depuis plusieurs années, le régime rwandais n’hésite pas à faire arrêter, disparaître et tuer les voix dissidentes. Néanmoins, le pays a réussi à se tailler un nom en tant qu’État modèle d’Afrique. Pour le gouvernement britannique, cette vitrine a servi d’argument pour signer avec le Rwanda un accord d’expulsion de réfugié.e.s. En paient le prix les personnes qui sont marquées par la torture ou d’autres formes de violence déjà avant leur arrivée au Royaume-Uni – et la population opprimée du Rwanda.

«Suicide», affirmait la police rwandaise le 17 février 2020 en annonçant que Kizito Mihigo avait été retrouvé sans vie au petit matin dans sa cellule à Kigali. Kizito Mihigo, âgé de 38 ans, était un chanteur de gospel populaire et un militant pour la paix, opposé au régime du président rwandais Paul Kagame.

Le journaliste Dieudonné Niyonsenga a été la seule personne à avoir osé mettre en doute la version des autorités concernant la cause de la mort de Mihigo. Quelques jours après le décès du chanteur, Niyonsenga a diffusé un reportage sur sa chaîne Youtube Ishema TV très médiatisée, dans lequel il affirmait avoir vu trois blessures sur le visage du défunt pendant les funérailles. «Il ne s’est absolument pas pendu», disait une témoin dans la vidéo, «il a été assassiné purement et simplement.» Sur Internet, des détails atroces circulent au sujet des tortures que Mihigo aurait subies avant sa mort. Pourtant les autorités n’ont mené aucune investigation officielle sur son décès.

Critiquer, c’est risquer sa liberté et sa vie

Déjà en 2020, Niyonsenga avait rencontré des ennuis avec les autorités judiciaires rwandaises. En novembre 2021, il a finalement été condamné à sept ans d’emprisonnement et à une amende salée. Il est difficile de concevoir le rôle qu’a pu jouer le reportage sur le chanteur Kizito Mihigo dans l’accusation et la condamnation de Niyonsenga, mais il est clair que son travail de journaliste a été interprété comme une provocation. Les chefs d’accusation d’«exercice illégal de la profession de journaliste» et d’«humiliation d’officiels de l’État» étaient à la fois chicanières et enfreignaient la liberté de la presse.

Pendant son procès, Niyonsenga s’est plaint d’avoir subi des actes de torture dans une cave en isolement. Lorsque son père lui a rendu visite en novembre 2021 à la prison de Kigali, il a également été arrêté et mis en détention durant trois jours dans des conditions dégradantes pour le seul fait d’avoir rendu visite à son fils.

Kizito Mihigo et Dieudonné Niyonsenga ne sont pas des cas isolés au Rwanda. Depuis l’année 2000, le président Paul Kagame dirige d’une main de fer le pays, conjointement avec son parti, le Front patriotique rwandais FPR. Quiconque critique son régime encourt le risque d’être menacé, de faire l’objet d’intimidations ou d’arrestations arbitraires. Plus grave: des opposants et journalistes disparaissent ou sont retrouvés morts dans des circon­stances suspectes.

Pourtant tout cela ne gêne pas les gouvernements de Grande-Bretagne et du Danemark. Pour ces États, le Rwanda est un pays progressiste et sûr; à tel point que les deux pays veulent envoyer au Rwanda des personnes réfugiées qui demandent l’asile sur leur territoire.

«La Suisse de l’Afrique»

Le Rwanda, longtemps encore associé exclusivement au génocide de 1994, rayonne à certains égards. L’économie est en forte croissance depuis le début des années 2000, le niveau de vie s’est amélioré pour de nombreuses personnes, la corruption est – en comparaison avec d’autres pays sur le continent – relativement faible. Le Rwanda montre volontiers ses succès, par exemple son «parlement le plus féminisé du monde».

Le Rwanda de Paul Kagame a réussi à se présenter comme un «modèle d’État» africain. «Visit Rwanda», peut-on lire sur les maillots des joueurs de foot d’Arsenal et de Paris Saint Germain. «La Suisse de l’Afrique ? Un pays de hautes montagnes, de beaux lacs, densément peuplé […]», comme le vante l’agence de voyage Knecht Reisen sur son site web qui propose des safaris pour observer les gorilles au Rwanda.

La bonne image que renvoie le Rwanda dissimule toutefois une situation désastreuse en matière de droits humains. Sécurité et stabilité ne riment pas encore avec paix et démocratie.

Ruanda map
Ruanda Karte_TUBS, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

Le génocide rwandais

En 1994, des groupes extrémistes de la majorité hutu au Rwanda ont tué plus de 800 000 personnes en l’espace d’environ cent jours. La plupart des victimes appartenaient à la minorité tutsie. Parmi les personnes tuées, il y avait également des membres de la minorité twa, ainsi que des Hutus qui n’avaient pas participé au massacre. Après la fin du génocide, le gouvernement rwandais a tenté de mettre en place une politique de reconstruction et de réconciliation. Cette politique, largement marquée par Paul Kagame, était influencée par la défense contre le danger des extrémistes hutus, qui voulaient déstabiliser et reconquérir le Rwanda depuis la République démocratique du Congo. Cette menace et l’expérience du génocide ont entraîné un fort besoin de sécurité, qui a largement influencé le rejet des revendications de démocratisation en matière de politique intérieure.

Source: Wikipédia

Le Rwanda en chiffres

Zone de refoulement pour des réfugié.e.s arrivé.e.s en Europe

Pour l’ex-premier ministre du Royaume-Uni Boris Johnson, le succès de la campagne publicitaire de Paul Kagame a été un coup de chance. Il a pu s’approprier les éloges décernés au Rwanda lorsqu’il a conclu un accord avec Kagame en avril 2022. «Le Rwanda est l’un des pays les plus sûrs au monde, mondialement reconnu pour sa culture d’accueil des migrants», a déclaré Boris Johnson. Le deal: le Rwanda reçoit 144 millions d’euros – la somme peut être augmentée avec le nombre de cas d’expulsion; en échange, le Royaume-Uni obtient un endroit pour refouler ses demandeurs d’asile. Les personnes arrivées illégalement sur le sol britannique, souvent après avoir traversé la Manche à bord d’embarcations de fortune, peuvent être acheminées par avion au Rwanda. Peu importe d’où elles viennent initialement. Ce n’est qu’une fois qu’elles se trouvent au Rwanda qu’elles peuvent demander l’asile. Un retour au Royaume-Uni n’est pas prévu. L’objectif déclaré du Royaume-Uni est de devenir inhospitalier pour les personnes réfugiées.
La Cour européenne des droits de l’homme a stoppé mi-juin le premier vol transportant des requérants d’asile à destination du Rwanda. Au moment de la clôture de la rédaction de cette brochure, nous ne connaissons pas l’issue de cette affaire. Il y a une forte résistance à l’encontre du pacte migratoire entre le Royaume-Uni et le Rwanda. La Haute Cour britannique à Londres examine actuellement la légalité de l’accord. La nouvelle première ministre Liz Truss compte toutefois le maintenir, voire l’étendre à d’autres pays. Une sortie de la Grande-Bretagne de la Convention européenne des droits de l’homme n’est plus impensable.

Le gouvernement danois poursuit la même stratégie. Le Rwanda et le Danemark ont déjà signé une déclaration qui prévoit le transfert des requérants d’asile au Rwanda depuis le Danemark. Le ministre de l’Intérieur autrichien a déjà fait à plusieurs reprises l’éloge des Danois à ce sujet.

Pas une terre d’asile sûre

L’organisation caritative Medical Justice a analysé les motifs de fuite des personnes demandeuses d’asile qui risquent d’être refoulées au Rwanda. Elle a constaté que bon nombre d’entre elles avaient probablement été victimes de torture. L’accord passé avec le Rwanda est « de manière générale dommageable pour n’importe qui, mais tout particulièrement pour les survivants de la torture et de la traite des êtres humains, qui paient déjà un lourd tribut avant même que ne décolle un avion pour le Rwanda », écrit Medical Justice.

Les personnes en fuite ont besoin de protection, et pas d’un refoulement supplémentaire – à plus forte raison lorsque la destination finale est le Rwanda. Le Rwanda n’est pas une terre d’asile sûre. On l’a vu par exemple en 2013, lorsque Israël a expulsé quelque 4000 réfugiés du Soudan et de l’Erythrée au Rwanda. Les personnes concernées avaient pu s’annoncer volontairement pour le transfert. Il est apparu par la suite qu’aucune d’entre elles n’était restée au Rwanda. Le cynisme avec lequel on parle d’une culture rwandaise de l’accueil des réfugiés s’est manifesté à nouveau quelques années plus tard. En 2018, les forces de sécurité rwandaises ont abattu au moins douze réfugiés de la République démocratique du Congo, alors qu’ils protestaient contre une réduction des rations alimentaires. Plus de soixante manifestants ont été arrêtés et poursuivis, entre autres pour rébellion et «diffusion de fausses informations dans le but de créer une opinion internationale hostile à l’État rwandais».

En septembre, le journal The Guardian citait un Syrien de 21 ans d’un centre d’hébergement pour immigrés clandestins: «Nous disons tous: “mieux vaut nous suicider que d’aller au Rwanda”.»

La population rwandaise ne peut de son côté espérer que peu de soutien de l’Europe lorsque le régime de Kagame est encensé et que des accords sont conclus sans conditions.

La Journée des droits de l’homme est célébrée chaque 10 décembre dans le monde entier. Elle commémore de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948.

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«Rwanda étude 32», Franck Réthoré, Flickr
Cris du cœur

La souffrance en silence

Des millions de rwandais expérimentent la souffrance en silence depuis plus de trente ans. Ils sont en effet contraints au silence par le régime dictatorial du parti FPR (Front patriotique Rwandais) au pouvoir.

Le peuple rwandais doit taire sa souffrance, afficher son plus beau sourire aux occidentaux bailleurs de fonds, faire bonne figure après plusieurs jours sans nourriture, ne pas pleurer ses morts tués ou les kidnappés par le régime.

Le grand paradoxe du Rwanda consiste à mettre tous les moyens en place pour embellir l’image extérieure du pays pour l’attrait des touristes et investisseurs étrangers, au profit de la toute petite oligarchie dirigeante du pays – et au détriment de la population en agonie.

Au Rwanda, aimer le pays signifie suivre aveuglement toutes les directives dictées par le seul parti politique FPR. Ces directives violent tous les droits humains fondamentaux. Le nœud du problème est que l’idéologie dudit parti est conçue pour favoriser les intérêts de la clique dirigeante. Alors que la grande majorité de la population est soumise, croupit dans la misère épouvantable, est réduite à l’état d’esclaves dans son propre pays, la minorité dirigeante vit dans l’opulence ineffable.

Les Rwandais sont physiquement et mentalement dans une prison à ciel ouvert. Les victimes du régime sont accusées de « négationnisme », qualifiés d’« ennemis de l’état », écartés de la société d’une façon ou d’une autre. La mise à mort, l’enlèvement forcé et la disparition, l’emprisonnement illégal sont monnaies courantes.

Après toutes ces années de terreur, quelques Rwandais, surtout ceux qui sont à l’intérieur du pays, commencent tout doucement à exprimer la commune souffrance. Ils le font au prix de leur propre vie. Les exemples récents sont Dieudonné Niyonsenga, Théoneste Nsengimana, Shikama Jean De Dieu, Hakuzimana Jibril, … (→ rwandanlivesmatter.site)

Les souffrances profondes du peuple semblent être ignorées par toutes les institutions qui devraient s’en préoccuper. Ses tourments sont dès lors refoulés, les cœurs sont meurtris, épuisés au bord de l’éclatement. Ainsi le peuple rwandais espère-t-il que la communauté internationale prendrait conscience de la triste situation que cette région est en train d’endurer.

Assumpta N.- Uwababyeyi (→ voir l’interview «Trop c’est trop»)

Assumpta N.- Uwababyeyi
Pétition

Liberté pour Dieudonné Niyonsenga!

Récolte de signatures terminée, pétition remise

Nos demandes

Le journaliste populaire Dieudonné Niyonsenga, plus connu sous le nom de Cyuma Hassan, a été condamné le 11 novembre 2021 à 7 ans de prison et une amende de 5 millions de francs rwandais pour avoir exercé sans carte de presse valide.

Lors de son procès en appel, M. Niyonsenga a dénoncé devant le juge les conditions cruelles et inhumaines de sa détention. Il a affirmé qu’il avait été placé dans une cave en isolement, où il subissait des actes de torture, notamment des passages à tabac réguliers, parfois au moyen de bâtons.

Pour ces motifs, nous avons demandé à Emmanuel Ugirashebuja, Minstre de la Justice du Rwanda:

  1. la libération immédiate de Dieudonné Niyonsenga;
  2. sa protection absolue contre toute forme de torture ou de mauvais traitements;
  3. l’ouverture d’une enquête sur les allégations de torture formulées pendant son procès en appel.

Télécharger cette pétition en PDF

Dieudonné Niyonsenga

Update novembre 2022: Dieudonné Niyonsenga de nouveau torturé

Le samedi 29 octobre 2022, le père de Dieudonné Niyonsenga lui a rendu visite. Dieudonné lui a alors expliqué comment il avait été électrocuté la même semaine, du lundi au vendredi. Par ces actes de torture, les autorités ont essayé de faire avouer à Dieudonné qu’il aurait volontairement fermé sa chaine Youtube Ishema TV, alors que ce sont les autorités-mêmes qui sont à l’origine de cette suppression. Dieudonné Niyonsenga a refusé de passer aux aveux. Outre ces actes de torture, ses droits de visite ont été restreints et il n’est pas autorisé à voir ses avocats, comme le prévoit pourtant la loi rwandaise.

Source: Action Citoyenne pour la Paix