Lien entre torture et peine de mort

Selon une nouvelle conception, la peine de mort serait illégale en toutes circonstances
Peine de mort, une torture
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Nouvelle conception juridique: la peine de mort est absolument interdite

Au cours des dernières années, une nouvelle conception juridique de la peine de mort a progressivement vu le jour. Selon cette approche internationaliste, la peine de mort serait illégale en toutes circonstances, car elle correspondrait, au mieux, à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (PTCID), au pire à de la torture.

Le raisonnement qui sous-tend cette conception est le suivant:

  • La torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants font l’objet d’une interdiction absolue en droit international. Ils n’acceptent aucune dérogation.
  • La peine de mort engendre inévitablement des souffrances psychiques, voire physiques majeures pour la personne condamnée, et ce avant et pendant l’exécution.
  • Juridiquement, ces souffrances sont interprétées au mieux comme des PTCID et au pire comme de la torture.

Pourquoi la peine de mort est une forme de torture ou de PTCID?

Conditions de détention inadmissibles

Les conditions de détention dans le couloir de la mort sont souvent inadmissibles. Les prisonniers sont fréquemment détenus à l’isolement pendant plusieurs années, parfois sans accès à la lumière du jour. Ils ont des contacts limités avec les autres détenus, leur famille et leurs proches.

Une angoisse permanente: le syndrome du couloir de la mort

L’attente de l’exécution plonge la personne condamnée dans un fort sentiment d’angoisse. Il n’est pas rare que la date d’exécution soit régulièrement repoussée, voire qu’aucune date ne soit annoncée. Le prisonnier est alors constamment en proie au doute et à la peur face à la perspective d’une exécution imminente. Cette angoisse omniprésente peut durer des années, voire des décennies, car les procédures de recours en matière de peine de mort prennent souvent énormément de temps.

Les conséquences psychiques pour le détenu sont catastrophiques. Dépression, perte de connexion avec la réalité, détérioration physique et mentale ainsi qu’idéations suicidaires sont fréquentes. Ce phénomène psychique est connu sous l’appellation de syndrome du couloir de la mort. Il est attesté par les criminologues et la communauté scientifique en général. Ce syndrome a conduit de multiples cours régionales à qualifier l’attente dans le couloir de la mort au minimum de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant.

Au moment de l’exécution

Les méthodes d’exécution délibérément cruelles: une forme de torture

La lapidation, la crucifixion et la pendaison sans chute infligent au condamné des souffrances particulièrement aigues. Celles-ci pourraient être évitées facilement en recourant à une autre méthode d’exécution infligeant des souffrances moins importantes. Il faut donc retenir que ces procédés répondent à une intention spécifique du législateur. Pour punir une personne coupable d’un crime, le législateur lui inflige des douleurs intenses. Ces méthodes d’exécution correspondent par conséquent à la définition légale de la torture.

Les autres méthodes d’exécution: une forme de torture ou de PTCID

Des décisions judiciaires et des observations d’experts indépendants ont qualifié à divers moments les méthodes d’exécution en vigueur de PTCID, voire de torture. Elles soulignent les ratés inévitables de certaines mises à mort et les souffrances inhérentes à certaines méthodes d’exécution. De plus, elles dénoncent l’atteinte à la dignité du condamné.

  • Au Guatemala, la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CADH) a qualifié le fait de recourir à plusieurs coups de feu pour mettre à mort un condamné de souffrances inutiles assimilables à un traitement cruel, inhumain et dégradant.
  • En Papouasie Nouvelle-Guinée, l’ancien Rapporteur spécial sur la torture a assimilé la pendaison par chute à un traitement inhumain, voire à de la torture.
  • Le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales a dénoncé la manière particulièrement barbare et publique dont l’Arabie saoudite applique la peine de mort, avec des décapitations suivies de crucifixions publiques.
  • Aux États-Unis, de nombreuses exécutions ratées par chaise électrique ont entrainé la lente agonie des personnes condamnées et la brulure de leur chair. Ces événements ont indigné l’opinion internationale.
  • Les injections létales, pourtant sensées être plus douces, n’en sont pas moins exemptes de critiques. Des irrégularités dans le protocole d’exécution ont provoqué des souffrances atroces en Arizona, en Oklahoma et en Ohio.
  • Récemment introduite en Oklahoma, au Mississippi et en Alabama, l’exécution par inhalation forcée d’azote est déjà sous le feu des critiques. La première exécution, survenue le 25 janvier 2024, a visiblement provoqué d’intenses souffrances au condamné.

D’une approche de la Cour européenne des droits de l’homme…

Face à ces nombreuses violations flagrantes du droit régional, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un jugement en 2010 (Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, détenus remis aux autorités irakiennes malgré le risque qu’ils soient soumis à la peine capitale). Elle a considéré que l’évolution vers l’abolition totale de jure et de facto de la peine de mort dans les États membres imposait son interdiction en toutes circonstances. La Cour a notamment fondé cette décision sur la base de l’interdiction de la torture, puisque les exécutions entrainent selon elle inévitablement une douleur physique mais aussi des souffrances morales intenses en raison de l’anticipation de la mort.

…vers une approche universelle

Juan Mendez, ancien Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, a constaté que les États qui imposent la peine de mort rencontrent de plus en plus de difficultés à le faire sans violer l’interdiction absolue de la torture ainsi que des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. C’est pourquoi, en 2012, le Rapporteur a affirmé l’émergence d’une norme du droit coutumier interdisant la peine de mort en toutes circonstances. Différentes prises d’experts des Nations Unies ont réaffirmé cette norme à l’attention de l’Arabie saoudite, du Soudan, de la Tanzanie, du Pakistan, du Malawi et du Bélarus. Cette norme coutumière devrait gagner en importance à l’avenir.