Définition de la torture

On parle de torture lorsqu’une personne, agissant à titre officiel, inflige intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës à une autre personne dans un but spécifique, par exemple pour lui arracher des aveux, obtenir des informations ou la punir.

Caractéristiques

Il est question de torture lorsque les quatre caractéristiques suivantes sont réunies:

  1. Auteur: Le tortionnaire est un membre d’une autorité, ou agit avec le consentement exprès ou tacite d’une autorité.
    → Selon le droit international, la torture ne concerne en principe pas les actes de torture commis par des personnes privées.
  2. Gravité: Les douleurs ou souffrances infligées à la victime atteignent un seuil élevé de gravité. On parle de souffrances «aiguës» ou «sévères».
    → La gravité de la souffrance dépend de plusieurs critères, tels que le caractère répété ou prolongé de l’acte, la sévérité objective de l’atteinte ainsi que le ressenti subjectif de la victime. Plusieurs formes de torture sont souvent utilisées conjointement. Un prisonnier peut ainsi être placé à l’isolement, privé de sommeil et battu par ses gardiens.
  3. Intention: Le tortionnaire inflige intentionnellement les souffrances.
    → Le tortionnaire doit avoir la conscience et la volonté d’infliger des souffrances aiguës à sa victime.
  4. Dessein: Les souffrances sont infligées pour atteindre un ou plusieurs buts spécifiques. On parle de «dessein» dans le jargon juridique.
    → Il peut s’agir d’obtenir des renseignements ou des aveux, de punir un acte supposé, d’intimider, de faire pression, ou pour des motifs discriminatoires. Cette liste n’est pas exhaustive. Le point commun entre ces objectifs est la volonté de briser la personnalité de la victime en portant sévèrement atteinte à son intégrité physique et/ou psychique.

Variations de la définition

Certains pays ont opté pour une définition plus large de la torture, qui cible également les auteurs n’agissant pas à titre officiel. La France sanctionne par exemple les «tortures et actes de barbarie» commis par des personnes privées. C’est aussi le cas de l’Italie. Elle cherche ainsi à réprimer les actes de violence commis par les membres du crime organisé.

Formes de torture

Les formes de torture sont innombrables. Elles dépendent de la technologie, de la culture et des ressources à disposition des tortionnaires. On distingue généralement les catégories suivantes:

La torture physique

La torture physique consiste à infliger des douleurs aiguës à la victime. Cela inclut les coups, les sévices sexuels, l’électrocution, les brûlures, la suffocation, la suspension, l’immobilisation ou les expérimentations scientifiques.

La torture psychologique

Il s’agit d’induire volontairement un état de mal-être, de stress et de désespoir intenses chez la victime sans porter directement atteinte à son intégrité physique. Cela inclut la privation de sommeil, les menaces, les simulacres d’exécution, l’isolement prolongé, l’humiliation, la privation sensorielle, l’ingestion forcée de substances psychotropes, l’outrage aux valeurs religieuses ou l’humiliation sexuelle.

La torture physique et la torture psychologique sont inextricablement liées. Infliger des actes de torture, qu’ils soient physiques ou psychologiques, induit inévitablement une sensation de mal-être, de stress et de désespoir sévères. Sur le long terme, les séquelles psychiques de la torture physique et psychologique atteignent en outre une gravité comparable.

La torture «blanche» ou «propre»

On parle parfois de «torture blanche» pour désigner les formes de torture qui ne laissent pas de traces visibles. Il s’agit souvent de méthodes de torture psychologique, comme la privation de sommeil ou les simulacres d’exécution.

En réalité, ce qualificatif sert surtout de prétexte aux partisans de la torture pour minimaliser la gravité de leurs actes. Les méthodes de torture psychologique induisent une souffrance et des séquelles psychiques au moins aussi importantes que la torture physique.

En résumé, il n’existe pas de torture «propre», «douce», «blanche», «atténuée» ni «légère». Tout acte de torture constitue une atteinte particulièrement grave à la dignité de la victime qui revient à nier sa qualité d’être humain.

Les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (PTCID)

Le droit international opère une distinction entre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (PTCID). Les PTCID sont aussi des mauvais traitements commis par un membre d’une autorité ou avec son consentement exprès ou tacite. Toutefois, ils se distinguent de la torture par les critères suivants:

Les PTCID n’atteignent pas le seuil de gravité permettant de qualifier les souffrances de torture: Cette catégorie regroupe typiquement les abus d’autorité qui portent atteinte aux libertés fondamentales de la victime, sans atteindre le seuil de gravité de la torture. Il s’agit, par exemple, des interventions policières relevant du profilage racial, des placements aux arrêts prolongés ou de la privation de contact entre un détenu et sa famille. Attention, plusieurs PTCID infligés conjointement ou de manière répétée peuvent atteindre un seuil de gravité suffisant pour que l’ensemble des mauvais traitements soit assimilable à de la torture.

Les PTCID ne requièrent pas que les mauvais traitements soient infligés intentionnellement, ni que cela ne poursuive un but spécifique: La définition de la torture implique l’intention d’infliger des souffrances dans un but spécifique. Les tortionnaires veulent par exemple obtenir des informations, exercer une pression ou punir. Dans le cas des PTCID, les critères de l’intention et du dessein ne sont pas nécessaires. Les PTCID découlent parfois d’un dysfonctionnement institutionnel. Derrière certains problèmes structurels, il n’y a pas forcément une intention particulière de porter atteinte à la victime. La surpopulation carcérale, les soins inadaptés et le manque de places dans des institutions thérapeutiques ne sont pas toujours volontaires. Cela n’exempte pas pour autant les autorités de toute responsabilité. Au contraire, elles ont le devoir de tout entreprendre pour que de tels dysfonctionnements ne surviennent pas.

Peine de mort et torture

Au cours des dernières années, une nouvelle conception juridique de la peine de mort a progressivement vu le jour. Selon cette approche, la peine de mort est illégale en toutes circonstances, car elle correspond au mieux à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, au pire à de la torture.

La torture aujourd’hui

Condamnée mais souvent pratiquée

La torture est condamnée dans le monde entier en tant que violation particulièrement grave des droits humains. Malgré cela, elle continue d’être pratiquée dans de nombreux pays.

Les tortionnaires invoquent souvent les mêmes prétextes pour justifier son recours. Pour certains, il s’agit d’un «mal nécessaire». Pour d’autres, de la manière «la plus fiable» d’obtenir des informations. Dans les régimes autoritaires, la torture vise souvent à terroriser et réduire au silence les voix dissidentes ou minoritaires.

Pourquoi les 4 principaux raisonnements des partisans de la torture sont fallacieux

Vous trouverez, ci-dessous, un tour d’horizon des raisonnements fallacieux, idées fausses et motivations réelles des partisans de la torture.

«Une bombe à retardement risque d'exploser»

«Supposons que vous détenez une personne qui sait où et quand une bombe va exploser. Cet événement coûtera la vie à de nombreuses personnes innocentes. Dans ces cas, il est justifié de recourir à la torture pour la forcer à témoigner.»

→ FAUX: Le scénario de «la bombe à retardement» est excessivement simpliste et ne reflète pas la complexité des situations réelles.

Le scénario de la bombe à retardement reste aujourd’hui encore l’un des arguments les plus ardemment invoqués par les partisans de la torture. Ce raisonnement présente la torture comme un «moindre mal» acceptable pour sauver un grand nombre de vies. En raison de son caractère prétendument rationnel, de nombreux États utilisent régulièrement cet argument pour justifier la torture dans le cadre d’opérations armées, de contre-espionnage ou de lutte contre le terrorisme.

Le problème de ce scénario est qu’il repose sur un nombre conséquent d’hypothèses, telles que le lieu et l’heure de l’attaque ou le degré de connaissances de la personne interrogée. Pourtant, à aucun moment ces hypothèses ne sont mentionnées de manière explicite à l’interlocuteur. Ce faisant, elles sont implicitement présentées comme des faits irréfutables.

Les circonstances d’une attaque réelle sont pourtant loin d’être évidentes. À titre d’exemple, le scénario de la bombe à retardement repose au minimum sur les neuf suppositions suivantes:

  1. Une attaque spécifique est prévue
  2. L’attaque aura lieu de manière imminente.
  3. Elle visera un large cercle de personnes.
  4. La personne détenue dispose d’informations qui permettront de prévenir cette attaque.
  5. Le fait de torturer cette personne permettra d’obtenir des informations pour prévenir cette attaque.
  6. Il n’existe pas d’autres moyens que la torture d’obtenir des informations pour empêcher cette attaque.
  7. Aucune autre action ne permettrait de prévenir les dégâts occasionnés par cette attaque.
  8. Le tortionnaire n’est motivé que par l’obtention d’informations.
  9. Il s’agit d’un scénario isolé.

Pour que ce scénario soit réaliste, chacune de ces hypothèses doit être attestée avec une assurance incontestable. Un tel niveau de garantie est quasiment impossible à atteindre dans le cadre d’une investigation ordinaire. Le scénario de la bombe à retardement relève donc de la fiction. Il est excessivement simpliste et fallacieux.

«La torture est parfois nécessaire pour obtenir des renseignements utiles»

→ FAUX! Les informations fournies sous la torture sont peu fiables

Lorsqu’elle est utilisée dans le cadre d’un interrogatoire, la torture provoque chez la victime un besoin irrépressible de fournir des informations suffisamment pertinentes aux yeux du tortionnaire. Cela vise uniquement à mettre un terme à ses souffrances. La victime peut donc donner n’importe quel renseignement pour que la douleur cesse, peu importe la véracité des informations. Elle peut se déclarer coupable d’une infraction dont elle se sait innocente. Elle peut dénoncer des complices imaginaires ou inventer des informations de toutes pièces, pourvu qu’elles apparaissent utiles à l’investigation.
La torture altère aussi les capacités de réflexion de la victime. La douleur et les souffrances infligées affectent la mémoire, l’humeur et la perception de la personne interrogée.

Une méthode d’investigation fiable: les principes de Méndez

Le recours à la contrainte dans le cadre d’interrogatoires est une méthode dont l’efficacité est aujourd’hui largement réfutée. L’obtention d’informations est plus efficace lorsqu’on établit une relation de collaboration et de confiance avec la personne interrogée. Cela n’empêche pas les enquêteurs de recourir à la ruse pour obtenir des renseignements, sous réserve des limites imposées par la procédure pénale.

Les Principes pour des entretiens efficaces dans le cadre d’enquêtes ou de la collecte d’informations (ou «Principes Méndez», d’après l’ancien Rapporteur spécial Juan Méndez) établissent des lignes directrices pour mener des entretiens efficaces dans le cadre d’enquêtes. Ils ont été élaborés en 2021 par des experts en techniques d’entretien militaires et de renseignement. Ces principes offrent une alternative concrète aux méthodes d’interrogatoire basées sur la contrainte. Ils permettent d’améliorer les résultats des enquêtes, de respecter pleinement les droits humains et de renforcer la confiance des citoyens dans leurs institutions.

«Le châtiment corporel est une sanction pénale juste et efficace»

«Les châtiments corporels permettent de rétablir le dommage commis lors d’une infraction en le répliquant sur le corps de l’auteur.» (Œil pour œil, dent pour dent)

→ FAUX: Un système judiciaire qui torture se décrédibilise et légitime le recours à la violence.

Certains régimes répressifs estiment que les peines de prison ne suffisent pas à compenser équitablement le tort causé aux victimes. Ils cherchent à infliger des souffrances physiques aux auteurs d’infractions pour leur faire ressentir le dommage qu’ils ont causé. Connus sous le nom de «châtiments corporels judiciaires», ces sanctions visent à réparer une atteinte et à dissuader la récidive. En d’autres termes, c’est la loi du Talion en action, exigeant que l’auteur du délit subisse un châtiment corporel prétendument proportionnel au tort infligé.

Les châtiments corporels judiciaires relèvent davantage de la vengeance privée que d’un système judiciaire indépendant. Ils s’avèrent par ailleurs doublement inefficaces. D’une part, ils sapent la crédibilité de l’appareil judiciaire, censé sanctionner les infractions de manière neutre et impartiale. D’autre part, ils légitiment le recours à la violence auprès de la population. Au demeurant, aucune étude n’a permis d’attester le potentiel dissuasif de ces sanctions.

La pratique des châtiments corporels judiciaires dans le monde

Du point de vue du droit international, les châtiments corporels judiciaires constituent des actes de torture. Ils sont donc absolument interdits. Ils sont cependant encore appliqués dans de nombreux pays. La flagellation est ainsi pratiquée en Afghanistan, en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, en Érythrée, au Soudan, à Singapour et au Yémen. Au Soudan, au Qatar, en Somalie et en Afghanistan, les autorités recourent aussi aux amputations pour punir les criminels. Les châtiments physiques sont également très répandus à titre de sanction disciplinaire dans les prisons de nombreux pays.

«La torture est justifiée par le maintien de l’ordre et de la sécurité publique»

«Le recours à la torture permet de maintenir l’ordre et la sécurité en mettant au pas les opposants.»

→ FAUX! La torture ne fait qu’attiser la revanche et la révolte au sein de la population.

Un instrument de terreur

Certains États affirment parfois que la torture est le seul moyen de garantir l’ordre et la sécurité publique. En réalité, la torture s’inscrit le plus souvent dans une stratégie globale visant à insinuer la terreur parmi la population. L’État cherche alors à briser la volonté de la victime, qu’il perçoit comme une menace pour son pouvoir. Dans les régimes autoritaires, il n’est pas rare que cette stratégie soit planifiée et appliquée avec une absence particulière de scrupules. En plus de la torture, l’État n’hésite souvent pas à commettre d’autres violations graves du droit international, telles que les exécutions extrajudiciaires ou les disparitions forcées.

Un message de toute-puissance à la population

En théorie, la torture est avant tout infligée aux individus appartenant ou soupçonnés d’appartenir à des mouvements politiques de résistance ou à des minorités ethniques, religieuses ou sexuelles. À long terme, l’identité de la personne torturée perd cependant en importance. Ce qui compte, c’est d’envoyer un message de toute-puissance à l’ensemble de la population.

Des prétextes discriminatoires, fanatiques ou nationalistes

Très souvent, les autorités invoquent régulièrement une idéologie raciste, fondamentaliste ou nationaliste pour justifier le recours à la torture. Parce qu’elles n’ont pas la bonne façon de penser, ne prient pas le même Dieu, n’ont pas la bonne couleur de peau ou ne se soumettent pas à toutes les injonctions de l’oppression, les victimes sont considérées comme des êtres inférieurs, à peine humains, envers lesquels tout est permis.

Un silence qui entretient l’impunité

Le recours à la torture n’est en règle générale jamais admis par les dirigeants. L’une des rares exceptions concerne les châtiments corporels judiciaires, qui relèvent alors de l’arsenal juridique de l’État (voir argument 3). Dans la large majorité des cas, les autorités démentent catégoriquement tout recours à la torture. À défaut, elles risqueraient de devoir répondre de cette violation devant les instances internationales et s’exposeraient à d’éventuelles sanctions.

Le secret qui entoure la torture ne sert pas uniquement à masquer son illégalité. Il permet également de propager une conception d’impunité de l’État. Dans les régimes qui torturent, les plaintes contre les tortionnaires ne sont souvent pas traitées. Ceux qui osent élever la voix pour dénoncer les abus encourent des représailles. Cette impunité qui règne autour de la torture, dont tout le monde a conscience, mais dont personne n’ose parler, pousserait en principe les gens à se taire et à se montrer dociles envers le pouvoir. Mais surtout, cette impunité entraine l’effet délétère de conforter les tortionnaires dans l’idée qu’il n’existe aucune limite à leurs agissements.

Les vraies conséquences de la torture

Dans la réalité, l’histoire démontre de manière systématique que la torture n’est pas un moyen fiable d’assurer la suprématie d’un régime au pouvoir. Au contraire, en raison de son caractère intrinsèquement inacceptable, la torture suscite la haine. Elle alimente la révolte au sein de la population. Les régimes qui recourent à la torture n’obtiennent pas la loyauté passive de leurs citoyens, mais les aliènent.

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Profil des tortionnaires

Détenteurs de la puissance publique

Les tortionnaires sont principalement des fonctionnaires: soldats, policiers, agents des services de renseignement, gardiens de prison. Ce sont des officiers et des employés dotés du droit de recourir à la puissance publique, habilités à arrêter et à maintenir en détention des suspects ou des condamnés. Les tortionnaires peuvent également appartenir à des groupes paramilitaires proches du gouvernement.

Sadisme et soumission aux figures d’autorité

Les tortionnaires ne se limitent pas à un profil psychologique unique. Ils ne peuvent être simplement réduits à des individus sadiques, même si ce trait de personnalité est indéniable chez certains. La soumission à l’autorité, qu’elle vienne d’experts ou de supérieurs hiérarchiques, joue également un rôle crucial dans la propension d’une personne à commettre des actes de torture.

Dans les années 60, les expériences de Stanley Milgram ont démontré que près des deux tiers des gens normaux étaient prêts à infliger des chocs électriques douloureux à une personne considérée comme désobéissante si quelqu’un considéré comme un expert ou un supérieur hiérarchique leur en donnait l’ordre. C’est ce qu’on appelle le biais d’autorité. Pensant que la personne qui donne l’ordre sera responsable de souffrances infligées, le tortionnaire se délaisse progressivement de ses sentiments personnels (compassion, empathie, pitié) pour accomplir plus facilement la tâche attendue de lui.

L’endoctrinement

Outre la propension au sadisme et au respect de l’autorité, l’endoctrinement simplifiera plus ou moins le passage à l’acte. En règle générale, les tortionnaires adhèrent à une vision du monde où la victime est considérée comme un être vil, un «parasite» dont la qualité est inférieure à celle d’un être humain et dont il faut se débarrasser pour assurer la survie de la société. Cette vision se construit sur la durée, à travers des discours de haine diffusés à l’encontre d’un camp politique, d’une ethnie, d’un groupe religieux ou d’un pays auquel appartient la victime. Au lieu de provoquer de la culpabilité et de la compassion pour cette dernière, le bourreau pourra considérer ces actes comme nécessaires à la survie de ses croyances idéologique.

En règle générale, les tortionnaires adhèrent à une vision du monde où la victime est considérée comme un être vil, un «parasite» dont la qualité est inférieure à celle d’un être humain et dont il faut se débarrasser pour assurer la survie de la société. Cette vision se construit sur la durée, à travers des discours de haine diffusés à l’encontre d’un camp politique, d’une ethnie, d’un groupe religieux ou d’un pays auquel appartient la victime. Au lieu de provoquer de la culpabilité et de la compassion pour cette dernière, le bourreau pourra considérer ces actes comme nécessaires à la survie de ses croyances idéologique.

L’impunité et la collégialité

La légitimité des tortionnaires est facilitée par l’impunité dont ils bénéficient lorsqu’ils commettent leurs actes. Au lieu de les tenir pour responsables, les autorités qui émettent l’ordre de torturer protègent les tortionnaires contre toute sanction pénale. Les témoins sont réduits au silence. L’accès aux archives est interdit. Les poursuites sont rares et ne visent au mieux que des employés en bas de l’échelle hiérarchique. Un climat de collégialité est également instauré parmi les tortionnaires. On ne trahit pas son homologue ni ne salit l’honneur de son camp.

Parfois, des lois d’exception sont promulguées. L’État d’urgence est déclaré, les libertés publiques sont restreintes et le pouvoir de l’armée, de la police et des services de renseignement est étendu. Enfin, la définition elle-même de la torture peut être modifiée pour être mieux tolérée par la société et le tortionnaire. On parlera alors de méthodes d’interrogatoires «renforcées» ou «musclées». On pourra aussi propager l’idée selon laquelle il ne s’agit pas de torture lorsque les souffrances infligées ne laissent pas de traces physiques.

Dans les forces armées: l’acclimatation à la torture

Lorsqu’ils appartiennent à des forces armées, les futurs tortionnaires sont parfois méthodiquement désensibilisés à la gravité de leurs actes. Un parcours initiatique les acclimate à la torture. Ces formations partagent souvent les mêmes valeurs viriles, qui permettent de mieux se défaire de la compassion et de la pitié qu’une personne ressentirait pour une victime. Les futurs bourreaux subissent eux aussi de mauvais traitements, voire de la torture pour qu’ils se familiarisent à son usage. À travers les souffrances endurées et les rituels d’appartenance visant à développer chez eux un solide esprit de corps, ils en viennent à se considérer comme dotés d’une mission spéciale. Celle-ci les place au-dessus des lois et crée un lien de loyauté fort envers leurs supérieurs hiérarchiques.

Le cadre légal de la torture

La torture selon le droit international

La torture, ainsi que les autres traitements ou peines cruels inhumains ou dégradants, sont proscrits par le droit international. Il s’agit d’une interdiction absolue, valable en tout temps et sans exception. L’interdiction de la torture est considérée comme une norme impérative du droit international, ce qui signifie qu’elle est reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que règle à laquelle aucune dérogation n’est permise.

Traités internationaux

Les principaux traités internationaux relatifs aux droits humains interdisent explicitement le recours à la torture.

Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH)

La DUDH a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948.

Elle énonce les droits fondamentaux de tout individu.

La DUDH est un texte cardinal en matière de droits humains. Bien qu’elle soit une référence en la matière en raison de son caractère historique, elle ne possède qu’une portée déclarative. Elle n’est par conséquent pas contraignante pour les États parties.

Son article 5 prévoit que «nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants».

Les quatre Conventions de Genève de 1949

Les quatre Conventions de Genève fixent les limites essentielles à la guerre. Elles protègent les personnes qui ne participent pas aux hostilités (civils, membres du personnel sanitaire ou d’organisations humanitaires) ou qui ne prennent plus part aux combats (blessées, malades, naufragés et prisonniers de guerre). L’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève exige que toutes les personnes se trouvant aux mains de l’ennemi soient traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable. Cet article interdit spécifiquement le recours à la torture.

Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies (CCPR)

Le CCPR a été adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966. La Suisse l’a ratifié le 18 juin 1992.

Il énonce les droits et libertés classiques qui protègent les particuliers contre les ingérences de l’État.

L’article 7 dispose que «nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants». Il précise également qu’il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique.

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT)

La Convention contre la torture a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1984. La Suisse l’a ratifiée le 2 décembre 1986.

Son article premier définit la torture comme suit:
«Tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou tout autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.»

Cette Convention exige que les États partie prennent des mesures concrètes pour éviter la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

La Convention instaure le Comité de l’ONU contre la torture (CAT), chargé de la mise en œuvre effective de la Convention et du contrôle périodique de son respect par les États parties.

Protocole facultatif se rapportant à la Convention de l’ONU contre la torture (OPCAT)

L’OPCAT a été adopté par l’Assemblée générale des Nations le 18 décembre 2002. La Suisse l’a ratifié le 24 octobre 2009.

Il prévoit un double système de contrôle. Les organes aux niveaux international et national effectuent des visites des établissements de privation de liberté.

Il institue le Sous-comité de l’ONU pour la prévention de la torture (SPT) qui effectue un contrôle des établissements de privation de liberté dans chaque État partie.

Dans le but d’assurer la mise en œuvre du protocole facultatif en Suisse, le Conseil fédéral a instauré en 2010 la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) en tant que Mécanisme national de prévention (MNP). Elle est chargée de visiter les établissements de privation de liberté en Suisse et de remettre des rapports aux autorités compétentes.

Traités régionaux

L’usage de la torture est également interdit par les principaux traités régionaux relatifs aux droits humains:

Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)

Son nom exact est Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle a été signée par les États membres du Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950.

Elle énonce les droits humains et les libertés fondamentales de chaque individu au sein des États membres du Conseil de l’Europe.

Sa ratification est une condition d’entrée au Conseil de l’Europe.

La CEDH institue un Comité des ministres, chargé du respect effectif de la Convention.

La CEDH institue la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH), chargée du contrôle judiciaire du respect de la Convention par les États membres.

Son article 3 prévoit que «nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements, inhumains ou dégradants». Bien qu’il s’agisse de l’article le plus court de la Convention, la jurisprudence de la CrEDH a affirmé à réitérées reprises qu’il s’agissait d’une disposition cardinale de la Convention, valable de manière absolue, à laquelle aucune dérogation n’est permise.

Convention européenne contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Cette convention a été adoptée par les États membres du Conseil de l’Europe en 1987 et est entrée en vigueur en Suisse le 1er février 1989.

Elle institue un Comité pour la prévention de la torture (CPT), nommé par le Comité de Ministres. Le CPT est habilité à visiter les prisons et les lieux de détention relevant de la juridiction des États parties.

Bien qu’ils n’y soient pas tenus, la plupart des États publient les conclusions et recommandations élaborées par le Comité suite à ses visites.

Le Comité a effectué des visites de la Suisse à neuf reprises: en 1991, 1996, 2001, 2003, 2007, 2011, 2015, 2021 et 2024.

Charte africaine des droits de l’homme et des peuples

Cette convention, aussi appelée Charte de Banjul, a été adoptée en juin 1981 par la Conférence des États de l’Organisation de l’unité africaine (OUA)

Elle énonce les droits humains et les libertés fondamentales de chaque individu au sein des États membres de l’Union africaine (UA).

Son article 5 interdit «la torture physique ou morale», et «les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants».

Ses articles 30 et suivants instituent la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP). Son mandat est d’effectuer de la recherche sur des thématiques en lien avec les droits humains, de préparer des projets de lois susceptibles de répondre à des violations de la Charte, d’interpréter ses dispositions et de répondre aux communications des États parties.

Convention américaine relative aux droits de l'homme

Cette convention a été adoptée le 22 novembre 1969.

Son article 5 dispose que «nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants».

Ses articles 34 et suivantes instituent la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH). Son mandat est d’effectuer des recherches, d’émettre des recommandations et de traiter les communications des États parties concernant d’éventuelles violations de la Convention.

Ses articles 52 et suivants instituent la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Son mandat est de traiter les affaires qui n’ont pas pu être réglées selon la procédure devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Les États parties s’engagent à respecter les arrêts de la Cour.

Le cadre légal de la torture en Suisse

Une priorité stratégique à l’étranger

La Suisse a fait de la lutte contre la torture à l’étranger l’une de ses priorités stratégiques en matière de politique étrangère, comme le souligne l’objectif 5.4 de la Stratégie de politique extérieure 2024-2027 du Conseil fédéral. Il s’agit d’une des quatre priorités thématiques des Lignes directrices sur les droits de l’homme 2021-2024 du DFAE . Enfin, le Plan d’action du DFAE contre la torture rappelle aussi que «la Suisse défend l’interdiction absolue et universelle de la torture et des mauvais traitements et promeut sa mise en œuvre effective».

La torture n’est toujours pas incriminée en tant qu’infraction spécifique

La Suisse a ratifié la Convention de l’ONU contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants en 1986. L’article 4 de la Convention énonce l’obligation pour tout État partie de «veiller à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal». En outre, tout État partie doit «rendre ces infractions passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité».

Malgré les obligations qui incombent à la Suisse, la torture n’est réprimée dans son code pénal que dans le cadre des infractions de crime contre l’humanité (art. 264a, alinéa 1, lettre f CPS) et de crime de guerre (art. 264c, alinéa 1, lettre c CPS). La torture y est définie comme l’«infliction à une personne de grandes souffrances ou d’une atteinte grave à son intégrité corporelle ou à sa santé physique ou psychique, notamment par la torture, un traitement inhumain ou des expériences biologiques».

En dehors de ces contextes, la Suisse ne dispose toujours pas de disposition pénale réprimant la torture en tant qu’infraction spécifique.

Problèmes liés à cette lacune

Pour réprimer un acte de torture en dehors de ces contextes, les autorités doivent recourir à de nombreuses autres dispositions, en particulier les infractions contre l’intégrité physique, l’honneur ou la liberté.

De cette lacune découlent les problèmes suivants:

  • Les sanctions qu’encourent les tortionnaires sont insuffisamment sévères au regard de la gravité de leur crime.
  • Les actes de torture qui ne laissent pas de traces ne sont pas condamnables ou alors que très légèrement.
  • La torture n’est pas un crime imprescriptible.
  • On ne peut poursuivre l’auteur d’un acte de torture commis à l’étranger sur la base de la compétence universelle (actes commis à l’étranger lorsque ni l’auteur ni la victime sont de nationalité suisse, mais que l’auteur est de passage en Suisse).
  • On ne peut octroyer à un autre État l’entraide internationale en matière pénale pour le crime de torture.
  • La responsabilité du supérieur ayant intimé l’ordre de torturer au tortionnaire n’est pas réprimée.

En bref: 4 arguments pour l’incrimination de la torture

Argumentaire incrimination de la torture 1
Argumentaire incrimination de la torture 2
Argumentaire incrimination de la torture 3
Argumentaire incrimination de la torture 4

Processus législatif en cours

Le 4 février 2022, le Conseiller national Beat Flach (Vert’libéraux/AG) a déposé une initiative parlementaire pour inscrire la torture en tant que telle dans le catalogue des infractions du droit pénal suisse. Le 15 mars 2024, le Conseil national a voté en faveur de l’octroi d’un délai supplémentaire de 2 ans, courant jusqu’au 29 mars 2026, pour traiter l’initiative.

L’Office fédéral de la justice (OFJ) doit à présent soumettre des projets de loi à la Commission des affaires juridiques du Conseil national. Le texte de loi pourra ensuite être voté par le Conseil national, puis le Conseil des États. L’ACAT-Suisse soutient activement ce processus législatif.